Du fait de ce parallèlisme très étroit entre la médecine pasteurienne et l’église catholique, en l’espace d’un siècle le médecin a progressivement pris la place du prêtre, la recherche de la santé a remplacé la quête du salut, l’espoir de l’immortalité physique (par clones, manipulations génétiques, etc.) a pris le dessus sur l’attente de la vie éternelle, la vaccination a acquis le même statut initiatique que le baptême (et son refus suscite les mêmes peurs), et l’on voit même grandir l’espoir qu’un vaccin universel nous sauve demain de toutes les maladies comme le Sauveur a racheté tous les péchés du monde.

De même, les “charlatans” sont aujourd’hui poursuivis comme les “hérétiques” d’antan, et l’“exercice illégal de la guérison” condamne souvent des thérapeutes qui ont pour seul tort de soigner avec succès leurs malades par d’autres méthodes que l’allopathie. En dehors de la médecine officielle, point de santé... ?

Mais surtout, l’alliance entre le pouvoir médical (conseil de l’ordre des médecins et lobby pharmaceutique) et le gouvernement s’est elle aussi calquée sur celle existant autrefois entre l’Eglise et l’Etat. Plusieurs actes médicaux sont ainsi obligatoires (vaccins, par exemple), ne laissant pas à l’individu la liberté de préserver sa santé ou de se soigner en accord avec ses propres convictions.

« Mais la médecine est une science, et non une religion ! », s’indigneront certains. Non, la médecine est avant tout un art, et à ce titre relève autant de science (d’un savoir, d’une technique) que de religion (de croyances, de participation personnelle). Il existe aujourd’hui quantité de données et d’expériences qui démontrent sans le moindre doute possible que l’efficacité d’un traitement, quel qu’il soit, dépend autant de la méthode employée que de l’adhésion du malade à ce qui lui est prescrit. L’effet placebo, bien connu dans les médicaments (au malade qui y croit, une pilule de sucre fait autant d’effet qu’un vrai remède), a ainsi aussi pu être démontré en chirurgie : les patients ayant subi une opération bidon du genou ont autant récupéré que ceux en ayant subi une vraie !

Dans ses ouvrages Ces histoires qui guérissent et La médecine narrative, le Dr Lewis Mehl-Madrona illustre d’une manière édifiante l’importance cruciale de la subjectivité du patient, de ses croyances, de son adhésion, dans la réussite d’un traitement.

La médecine allopathique est une médecine parmi de nombreuses autres. Elle possède sa logique, ses théories, ses croyances et ses pratiques. Elle a ses succès, mais aussi ses échecs. On lui doit de nombreux apports remarquables, de la simple prise en compte de l’hygiène à l’anesthésie, en passant par les développements de la chirurgie réparatrice ou encore les antibiotiques. Mais elle a aussi ses limites, ses angles morts, son dogmatisme et sa rigidité, avec à la clé aujourd’hui une augmentation phénoménale des maladies iatrogènes, un manque d’éducation sanitaire de base (alimentation, gestion des émotions et du stress, etc.), une fragilisation des populations gavées de médicaments (d’où l’apparition de microbes de plus en plus résistants), et une multiplication alarmante des handicaps et des décès consécutifs à la mise sur le marché de médicaments conçus à la hâte, visant apparemment plus à enrichir les laboratoires pharmaceutiques qu’à soigner véritablement les gens.

Il n’est pas plus justifié aujourd’hui que cette médecine bénéficie d’un tel soutien de l’Etat (voire lui dicte les décisions à prendre en matière de santé publique), que d’imaginer l’Etat encore lié à telle ou telle église ou religion. L’homéopathie, l’acupuncture, les naturothérapies diverses (phytothérapie, aromathérapie, naturopathie), pour ne citer que celles-ci, sont – quand elles sont exercées par des praticiens dûment formés – d’une efficacité comparable à l’allopathie : supérieure dans certains domaines, inférieure dans d’autres.

Dès lors, chaque individu doit désormais pouvoir disposer du libre choix de sa médecine, de ses croyances médicales pourrait-on dire, et ne pas se voir imposer d’être soigné par les partisans d’un credo médical auquel il n’adhère pas.

Dans cette même logique, le remboursement des frais médicaux devrait lui aussi faire l’objet d’une révision radicale. Il est en effet injustifiable que soient remboursés des médicaments allopathiques souvent chers, parfois inefficaces voire toxiques, mais que le patient y soit de sa poche pour des traitements homéopathiques, phytothérapiques, aromathérapeutiques ou autres, souvent moins chers, et à l’efficacité suffisamment souvent probante. Au nom de quelle logique l’ostéopathie, par exemple, qui soulage chaque année des millions de gens de douleurs qu’aucune thérapeutique remboursée ne soigne, n’est-elle toujours pas remboursée (sauf, à petites doses, par quelques mutuelles) ?...

Il est grand temps que s’instaure en France (et partout dans le monde) une véritable laïcité médicale : que chaque citoyen puisse librement choisir comment se soigner, auprès de thérapeutes dûment formés à leur spécialité. La plupart des médecines ont aujourd’hui des écoles avec des examens dignes de ce nom. Elles ont souvent derrière elles des décennies, quand ce ne sont pas des siècles, de pratique pour justifier leur pertinence et leurs résultats.

La médecine allopathique n’a pas plus d’avantage sur les autres thérapies que l’église catholique n’en avait sur les autres religions. Après avoir été ridiculisées, incomprises, dénigrées, bon nombre de croyances du monde entier ont fini par obtenir la reconnaisance et la place qu’elles méritaient. Aujourd’hui, chacun est librement bouddhiste, hindouiste, animiste, adepte du chamanisme, du soufisme, du spiritisme… ou simplement athée. De manière analogue, on assiste à une reconnaissance croissante des ethnomédecines, de thérapies hâtivement jugées « primitives », dont on découvre tardivement la complexité, la profondeur et l’efficacité. Pour ne rien dire de toutes les nouvelles formes de thérapie qui voient actuellement le jour, puisant à la fois leur inspiration dans certains développement de la science et dans une connaissance plus approfondie des causes subtiles de la maladie.

L’église médicale dominante – la religion pasteurienne – doit désormais prendre la place qui est véritablement la sienne, à savoir une thérapeutique comme une autre, avec ses qualités et ses défauts, une obédiance médicale à laquelle les patients doivent pouvoir librement souscrire s’ils en ont envie, ou qu’ils puissent librement quitter pour lui en préférer une autre plus conforme à leurs convictions, si tel est leur désir.

Quant à l’Etat, son rôle, comme en matière de religion, n’est pas de se lier ni de se soumettre à une médecine en particulier, mais de veiller sur la santé des citoyens, en les laissant libres de choisir la ou les méthodes de soin qui leur conviennent le mieux, parmi le large éventail ayant fait ses preuves qui existe aujourd’hui. (Il va de soi, faut-il le préciser, que ce n’est pas à la médecine allopathique de déterminer la validité des autres médecines…)

Pour conclure, j’invite donc les praticiens et les partisans de toutes les diverses médecines et thérapies actuelles à mettre de côté leurs querelles de clochers et à défendre ensemble cette « laïcité médicale » qui leur profitera à tous, au final, alors que leurs conflits ne serviraient qu’à perpétuer la mainmise de l’allopathie et des laboratoires pharmaceutiques sur notre santé.

Défendons par tous les moyens qui sont les nôtres – nos réseaux, nos médias, nos patients, nos contacts, nos sites Internet, etc. – cette séparation de la médecine « officielle » et de l’Etat, qui seule peut garantir durablement notre santé individuelle et collective : la santé publique.

Olivier Clerc

(Note : mon livre Médecine, religion et peur peut être téléchargé gratuitement sur mon site : http://www.olivierclerc.com/download/Medecine_religion.pdf )